Ceci est le début du livre, commencé le 11 mars 2021 et en cours de rédaction chapitre par chapitre.
Vous pouvez aussi lire Pourquoi cette biographie? (voir colonne de droite)
Cliquez sur une photo pour zoomer - (397-23-4 > 542 -21-8))




Toute ma vie en résumé

Histoire résumée d'une vie

En attendant le livre

par Patrick Demeyer

 À 76 ans (en 2021), j'arrive à l'heure du bilan de ma vie, une vie passionnante. J'ai bénéficié d'opportunités et rencontré des gens merveilleux.

Avant que la mémoire me manque, j'ai commencé à écrire deux livres. Le premier sur ma vie personnelle et professionnelle et le deuxième sur ma vie au Sénégal. 

En particulier, j'ai créé un métier nouveau que j'explique ici. Mes parents croyaient que j'étais photographe. Pas du tout.

La table des matières détaillée fait déjà 12 pages. Aussi, avant d'entamer un labeur de plusieurs années, j'ai tracé ici une esquisse de ma vie à grands coups de pinceau et avec quelques coups de griffe. 

 

Sommaire Patrick Demeyer

Ma vie - 1945/2029


SOMMAIRE

1945-1956 (terminé)

  1. Premiers souvenirs d'enfant. C'était vraiment un autre siècle
  2. La rue, la vie. Une découverte de chaque instant (lire)
  3. L'école communale. Un rude apprentissage de la vie sociale (lire)
  4. À la maison. Une éducation à la dure. Mes parents, ma famille (lire)
  5. Les vacances : la mer et le monde paysan - (lire)

1956-1966 (en cours de rédaction)

  1. Le lycée Carnot et ses professeurs cinglés - En cours

1. 1945-55 Premiers souvenirs d'enfant

Premiers souvenirs

Jeanne  ma mère en 1932
À la fin de la guerre, mes parents Jeanne et Roger habitaient le 14e arrondissement de Paris où je suis né en février 1945. 
 
«Ah ça madame, c'est un beau bébé!». La sage femme n'en revenait pas. Une petite femme fluette de 1,53 mètre qui avait un bébé de 9 livres... L'accouchement n'a pas du être simple mais la maternité du Bon Secours de la rue des Plantes était réputée. Je suis né à 12h20, et c'est peut-être pour ça que j'ai toujours bien aimé manger.
 
Nous nous sommes installés ensuite dans le 17e arrondissement dans un grand appartement où j'ai passé mon enfance et mon adolescence. Mon premier souvenir? C'est de voir ma mère en train de laver un petit bébé, mon frère Bruno, dans le lavabo de cet appartement. Il est né deux ans après moi.

La rue, la vie

Vivre à Paris, c'est vivre avec la rue. 

Je la découvrais quand je partais en courses avec ma mère, ou que j'observais depuis ma fenêtre. Il n'y avait pas de clocher d'église. L'horloge, c'était celle du Lycée Carnot qui rythmait ma vie. J'entendais la sonnerie et les élèves crier, jouer dans la rue à la porte du Lycée. La rue avait une odeur l'hiver. Celle des fumées de bois venant des cheminées. Se chauffer était difficile. Je me souviens que dans notre appartement bourgeois, il n'y avait qu'un poêle dans l'entrée. On mettait mon pot à côté pour que je n'ai pas froid. Plus tard, la propriétaire a fait installer le chauffage central. 

Chariot électrique à plateau
Très tôt le matin, des hommes conduisaient des petits troupeaux de moutons vers les Halles de Paris. Bizarre au milieu des immeubles haussmanniens. Je découvrais ça quand je ne dormais pas. Intrigué par certains bruits, j'ouvrais la fenêtre et j'entrouvrais les volets pour passer la tête. Puis des bétaillères à moteur les ont remplacé. De temps en temps, il y avait ces véhicules électrique à plateau qui venaient des Halles chargés de cagettes à légumes. Le conducteur se tenait à moitié assis dans cette étrange machine sans porte qui faisait "ouiiii-ouiiiiii" en roulant à 20 à l'heure. 

1950 - L'école communale

L'école communale

L'apprentissage du cilice


Photo Roger-Viollet



Mon univers a changé vers 1950 avec l'arrivée dans l'école communale de la rue Ampère. Il n'y avait pas de crèche et pas encore de maternelle partout. Je n'allais plus vivre seul avec mon turbulent petit frère Bruno le casse-cou mais j'allais être confronté aux autres dans un rude apprentissage de la vie sociale. Avec le recul, cette période m'évoque le cilice, cette chemise en crin rugueux que les moines portaient pour apprendre à supporter la douleur et se mortifier.

Ma vie d'enfant à la maison

Ma vie d'enfant à la maison


Belle adresse, mais...

J'allais souvent chez les copains et ils ne venaient que rarement chez nous. Notre appartement de cinq pièces devait faire environ 110 m2 au premier étage avec ascenseur d'un immeuble haussmannien. J'avais honte et je ne laissais pas mes amis découvrir cet appartement minable par rapport aux leurs.

Notre salon vers 1957 avec ses meubles vieillots style Levitan 1930


Il y avait une grande entrée suivie d'un couloir qui distribuait deux chambres. Une des chambre sur cour avait été transformée en salle de bain avec baignoire. Le chauffe-eau à gaz était installé directement au mur sur le papier peint il me semble... Beaucoup de place était perdue dans cette ancienne chambre d'environ 20m2. A gauche, c'était la chambre sur rue que nous partagions mon frère et moi. Au bout du couloir, entre les deux chambres, une porte ouvrait sur une petite pièce, le cagibi,
où on mettait le linge sale, tout et n'importe quoi. C'est aussi là dedans que nous étions enfermés dans le noir pour être puni. "Attention, tu vas aller au cagibi!" menaçait ma mère.

À la mer et à la campagne

Nos vacances d'enfant

Ma mère, mon frère et moi, Annie ma cousine et sa mère


Hermanville-sur-Mer, Bassens, Le Fidelaire, Fauconnier, Le Crotois... Tout se mélange un peu. Il y a surtout des souvenirs à la mer et des souvenirs à la campagne.

Les plages de galets

Mon oncle Georges habitait près d'une plage de galets en Normandie. Sa maison qui s'appelait Mustapha (Ha?) n'était pas très grande. Je ne sais plus très bien comment on faisait pour loger avec ma mère et mon frère en plus de mon oncle, sa femme et de leurs trois enfants. Ils avaient un petit jardin et j'ai découvert que les petits pois poussaient sur un arbuste. J'ai cueilli des groseilles à maquereau demi-translucides qui servaient à faire une sauce aigre-douce pour accompagner les poissons. Maintenant elles ont disparu des marchés.

On allait à la plage, mais c'était éprouvant de réussir garder son équilibre sur les gros galets instables. Quand on avançait dans la mer froide, les vagues faisaient rouler des petits galets sur nos pieds. Et se faire sécher sur une serviette était un summum d'inconfort. Mes trois grands cousins se construisaient des fortins avec ces galets, et ils organisaient des batailles dangereuses en se lançant des cailloux plus ou moins gros. Et un jour j'ai vu mon cousin Gérard sortir de son fortin en galets avec le front en sang. Je n'ai eu le plaisir de construire des châteaux de sable que bien plus tard.

Ma mère nous avait tricoté des slips de bain. Mauvais choix. C'était de la laine qui gratte et ensuite quand on rentrait dans l'eau, le slip imbibé devenait tellement lourd qu'il nous tombait sur les genoux.

Le cousin Marc était très habile de ses mains et à l'arrière de la maison, j'ai découvert avec admiration qu'il avait presque fini un kayak en lames de bois qu'il arrivait à courber en les mouillant en permanence. Plus tard, il a monté une entreprise de vente de bateaux et d'accastillage, avant d'être agrégé en mathématiques et de devenir enseignant. Il était aussi grand spécialiste du tirlipote, ce jeu radiophonique dont il gagnait souvent la cagnotte.

"Jour de fête", mon premier film

Dans un autre lieu indéterminé, mes parents avaient loué une petite maison à toit de chaume et sol en terre battue. Son confort était assez rustique mais cela n'a aucune importance pour des enfants. C'était au cœur d'un petit village de Normandie. Le samedi, c'était jour de fête car un homme venait s'installer non loin de notre porte  Il taillait de grosses pommes de terre en frites et les plongeaient dans sa bassine de gras de bœuf bouillonnant. On avait le plaisir d'avoir mon frère et moi une assiette de vraies frites croustillantes. 

"Jour de fête" de Jacques Tati, c'est aussi le premier film que j'ai vu dans ce village. Le cinéma n'avait que 60 ans. Et je découvris ébahi les aventures bizarres du facteur et de son vélo. C'était pendant l'été 1950. J'avais cinq ans.

Cet extrait ci-dessous a été restauré et colorisé en 2013.


La nuit venue, sur la place du village, des chaises été disposées en rangs, avec une toile tendue sur un cadre devant. Un étrange appareil trônait derrière.

Après que le projectionniste ambulant ait relevé tous les tickets, une musique au son criard sortit soudain d'une boîte noire et l'écran s'illumina. Je ne comprenais pas grand-chose. Pourquoi est-ce que le facteur mettait un tube sur son œil (un kaléidoscope) et qu'ensuite, il le tournait et avait un rond noir (comme un œil au beurre noir)? Pourquoi est-ce qu'il accrochait son vélo derrière un camion à plateau qui roulait et qu'il donnait des coups sur des lettres (qu'il compostait) ?

Pourquoi les gens autour de moi riaient en se tapant la cuisse? Ils commentaient à haute voix les scènes, ils se levaient à moitié pour apostropher le facteur le bras en avant. Ils plaisantaient entre eux bruyamment. Le spectacle était autant chez les spectateurs qui vivaient le film que sur la toile. Des fois, la pellicule très fragile cassait où se bloquait et on voyait  sur l'écran l'image brûler. Les spectateurs faisaient tous "Ôoooo" en même temps. Il fallait attendre que le projectionniste répare les dégâts avant de poursuivre la séance. Cela arrivait même dans les grandes salles de cinéma parisiennes.

Au tout début du cinéma, le premier film des frères Lumière (L'arrivée d'un train en gare de La Ciotat) faisait peur aux spectateurs dont certains se sauvaient en voyant la locomotive arriver sur eux. Quelle époque merveilleuse que celle où la technologie balbutiante émerveillait les gens. Quant au film, il faut vraiment l'avoir vu et le resituer dans son époque juste après-guerre pour comprendre l'humour spécial de Jacques Tati.

Un matin, j'ai été réveillé par le soleil. J'ai appelé ma mère qui était déjà partie faire les courses. J'entendis Bruno remuer dans son lit. Je ne sais pas pourquoi, je fis "Hou". Il poussa un gémissement. Je recommençais. J'entendis comme un petit hoquet. Je me mis à faire "Hou-ou-ou!" pour voir. Il commença à hurler et ma mère arriva à cet instant. Elle calma Bruno qui a eu peur du loup puis vint vers moi pour me flanquer une bonne fessée. Tout ça parce que Bruno s'était fait tout un film dans sa tête à partir d'un seul son...

Fraises des bois et moisson d'été

Nos séjours à la campagne étaient bien plus intéressants.

Nous allions dans des fermes auberge perdues où des paysans nous faisaient vivre leur culture campagnarde et on mangeait des produits de leur ferme, ou bien nous louions des appartements ou maisonnettes dans des petites villes un peu partout en France.

Ma mère nous emmenait nous promener dans des bois et nous faisait découvrir la nature. Les délicieuses fraises des bois cachées sous des feuilles, les champignons aux formes variées qu'il ne fallait pas toucher, les violettes et leur parfum sublime, les coquelicots rouge vif au milieu des blés... Toutes choses inconnues qui ont peu ou prou disparues. Visiblement, ma mère connaissait la nature et la campagne. Elle nous a appris à l'aimer et c'est ainsi que moi, petit citadin, j'ai rêvé d'avoir une maison à la campagne une fois adulte. Elle nous expliquait aussi le rôle des abeilles et pourquoi elles volaient de fleur en fleur et à quoi servent les coccinelles qu'on ne voit plus. Et il y avait les papillons, de la Piéride du chou aux papillons de nuit qui tournaient le soir autour des ampoules. Lorsqu'il conduisait, mon père était obligé de s'arrêter de temps en temps pour nettoyer son parebrise de tout ces insectes écrasés. C'est fini. Décimés par les insecticides, nos parebrises sont maintenant toujours propres.

Il y avait une petite rivière à l'eau très claire avec des cailloux dans le lit peu profond. J'avais vu des hommes avec des cannes à pêche et je voulais faire pareil. Maman acheta deux hameçons, les mis au bout d'une ficelle qu'elle accrocha à un bout de branche à peu près droit. Ainsi équipés, mon frère et moi nous trempâmes notre canne bricolée. Rien. Un pêcheur nous demanda avec quoi on appâtait. Avec rien... On ne savait pas. On n'avait rien sur l'hameçon. Il nous montra que sous les cailloux, il y avait des vers de vase dans une petite coquille droite et que c'est ça que les vairons aiment manger. On en trouva et on laissa pendre notre fil appâté. Rien. Notre mère devait être heureuse, enfin tranquille pour lire. Au bout de trois jours, des garçons du village passèrent. L'un d'eux examina notre ligne. Procéda à quelques ajustements puis lança l'hameçon. En une minute, il pêcha trois vairons, ces petits poissons bons pour faire une friture. Nous renonçâmes définitivement à la pêche et à ses secrets compliqués.

Les jours de pluie, on lisait, on jouait aux dominos ou aux cartes. Ma mère nous a appris à jouer à la crapette, à la bataille, puis à la canasta. Mais elle était nulle au bridge car j'entendais mon père se fâcher contre elle lors de longues nuits avec des amis. Mon père venait rarement en vacances avec nous. Il nous rejoignait parfois un week-end. Il travaillait.

Ce monde parait maintenant si lointain

Le monde paysan était fascinant. À la ferme voisine, on se préparait à faire la moisson. Ce n'est pas un homme seul perché sur une machine monstrueuse qui vaut une fortune, mais toute une armada de paysans qui s'y mettaient. Oui, il y avait une machine qui s’appelait "la batterie". Même pas une moissonneuse. Elle me faisait peur avec ses grandes dents devant et sa roue à aube qui rabattait le blé. Il fallait ramasser à la fourche les blés coupés et les mettre en gerbe ou en meules. Puis il fallait les lancer sur des charrettes. Puis aller décharger ce blé dans des granges avant la pluie. Aujourd'hui, les agriculteurs se fatiguent moins mais ils enrichissent surtout les constructeurs américains et le Crédit Agricole.

Après tout ce travail, des adolescentes aux formes naissantes glanaient les brins restants avec un grand râteau à dents en bois. Les jeunes glaneuses étaient en jupe d'été et le vent léger découvraient un peu leurs jambes, donnant envie d'en découvrir plus. Elles plaisantaient entre elles et riaient beaucoup. J'allais leur faire des chatouilles au creux des hanches ce qui les faisait encore rire et se tortiller, et c'était pour moi l'occasion délicieuse de les palper. Elles aimaient ça mais ma mère m'a interdit de continuer. 

La batterie ne pouvait pas aller partout. Des hommes allaient terminer ces endroits en maniant leurs faux d'un geste large puis avançaient ensemble d'un pas. Une mécanique bien huilée. L'un d'eux poussa un cri "stop". Il m'appela "Hé le parigot, vient voir ça". Il y avait un tuyau qui ondulait par terre. C'était un serpent. Ils massacrèrent cette vipère avant de continuer leur danse rythmée. 

 

Au retour sur le chemin vers la ferme, Rémi, le fils du fermier m'appela avec un petit air moqueur: "Hé toi ! Parigot tête de veau!". Il était un peu plus grand que moi et on avait copiné. Interloqué, je ne comprenais pas ce que cela signifiait. Tête de veau ? Je lui répondis "Tête de veau, ça va aussi avec péquenot. Péquenot tête de veau". Furieux de ma réplique, Rémi se précipita vers moi et je me suis battu pour la première fois de ma vie. Les paysans s'étaient arrêtés la faux sur l'épaule ou appuyés leur fourche et riaient du spectacle. J'esquivais les coups et j'en donnais. Au corps à corps, nous roulâmes dans les orties et le combat se termina dans la douleur des piqûres et démangeaisons cuisantes. 

C'est ainsi que je compris que "les 75", les parisiens, n'étaient pas beaucoup aimés. Déjà, à Marseille, j'ai vécu un truc bizarre. Mon père avait enfin trouvé une place de stationnement près du Vieux Port et commençait sa manœuvre. Il bloqua ses freins et descendit furieux. Une voiture s'était glissée par derrière et avait pris la place. Ils se sont bien engueulés et j'entendis le Marseillais dire à mon père "...et vous les parisiens qui avez perdu la guerre..." Phrase longtemps mystérieuse.

Tartine de saindoux
Les paysans partaient tôt "à la fraîche" pour travailler aux champs et ils revenaient en milieu d'après-midi pour une collation chez le propriétaire des champs qu'ils appelaient le maître en parlant de lui. Tous assis autour d'une grande table en bois, le maître trônait au bout. Habitué à la baguette parisienne, j'étais fasciné par la grosse miche de pain ronde. Le maître la tenait contre sa poitrine et coupait une tranche avec le gros couteau qui arrivait jusqu'à sa poitrine. Puis il détachait la longue tranche brune et la donnait à l'un d'entre nous. J'avais peur pour lui, mais non, il ne s'est jamais coupé. Puis, on allait prendre au bol avec le couteau un peu de matière blanche qu'on étalait sur le pain. C'était du saindoux. J'adorais ce goût que je n'ai jamais retrouvé. Nous, c'était le beurre. En parcourant la France bien plus tard, j'ai découvert que les cuisines régionales étaient surtout marquées par leur matière grasse et leur boisson. Rosé et huile d'olive, beurre salé et cidre, bière et saindoux... On devine tout de suite la région.

Les paysans parlaient fort et se servaient abondamment aux pichets. A un moment, le maître dit à son fils "Rémi, va chercher de la piquette". Vient, me dit Rémi en se levant. Je pris deux pichets vides et le suivit. Dans cette dépendance, il y avait deux grosses barriques. Un tuyau en caoutchouc rose et un peu craquelé sortait d'un tonneau et traînait sur le sol en terre battue. Il le ramassa, le mis dans sa bouche, cracha, puis aspira. Il recracha le vin qui en sortit, boucha le tuyau avec son pouce, puis il remplit tous les pichets. Le parigot était choqué par ce manque de propreté. J'ai gouté la piquette. Un vin de couleur pâle, un peu acide qui n'avait pas très bon goût. Le mot piquette est devenu péjoratif pour un vin. En réalité ce n'est pas du vin. C'est une boisson peu alcoolisée obtenue par adjonction d'eau sur les marcs secs qui restaient des raisins pressés. Cette boisson était locale et on ne la trouvait pas en magasin pour une simple raison, sa vente était interdite.

Quasimodo et le temps des bons produits

Dans une autre ferme de vacances, on mangeait les produits de la ferme, des vrais, du savoureux, du "bio", avant qu'on invente ce terme issu de la mal-bouffe et des pratiques déviantes de l'agriculture industrielle. Le bio finalement, c'est un simple retour aux pratiques rurales d'autrefois.

C'est Gaston le garçon de ferme qui était chargé des bêtes. Il avait un aspect monstrueux et nous faisait un peu peur à mon frère et moi. Il avait les cheveux hirsutes et une barbe de 10 jours. Ses joues étaient un peu bouffies et on voyait des petites veines dans ses yeux globuleux. Les enfants sont incapables d'évaluer l'âge des adultes. J'estime aujourd'hui qu'il devait avoir environ 45/50 ans. Il était petit de taille et boitait légèrement. Mais surtout il avait un accessoire particulier qui entravait ses mouvements, à savoir un corset orthopédique en métal et cuir rigide attaché avec des courroies devant. Cet instrument de torture maintenait son dos scoliosé à peu près droit. Gaston avait tout pour déplaire, mais il faisait tout pour être gentil. Est-ce qu'il était le fils de la vieille propriétaire? Aujourd'hui, j'ai de la compassion pour lui et sa vie en forme d'impasse dans un coin perdu.

Gaston parlait peu. Il nous emmenait avec lui dans la bergerie pour traire à deux mains les biquettes aux grosses mamelles. Il mettait ce lait à cailler et on mangeait ses fromages frais avec un peu de sucre. Il nous mettait dans les bras des chevreaux de trois jours au petits poils si doux qu'on les embrassait. 

Quand on entendait les poules caqueter furieusement et des bruits d'ailes, on savait qu'on allait manger du poulet. Cela nous amusait beaucoup d'aller voir Gaston courir en boitant pour essayer d'attraper une poule. Il y avait aussi un coq magnifique, grand, à la crête rouge vif. Il protégeait férocement ses femmes et il courait à tire d'aile pour essayer de picoter les mollets de Bruno, trop téméraire, qui s'enfuyait la peur au ventre. Un jour, on nous annonça qu'on allait manger du coq au vin. C'était délicieux. Mon frère inquiet fini par sortir de table et aller voir dans la basse-cour. Le coq avait disparu. Il posa la question et la réponse fut directe. Oui, c'est lui que tu as mangé. Mon frère se mit à pleurer, à dire qu'il ne voulait pas manger du méchant coq pour ne pas devenir méchant comme lui... toutes une scène. Le surlendemain, il avait contracté une jaunisse et resta au lit. Dans ma tête, c'était encore une méchanceté du coq.

Gaston tuait aussi les canards. Une fois qu'il avait réussi à en saisir un, il le coinçait sur un billot et lui écrasait la tête à la main. Des fois, il leur coupait le cou et il est arrivé une fois un spectacle incroyable pour moi. Le canard sans tête s'est échappé et par réflexe, il a réussi à voler quelques mètres avant de retomber. Les campagnards étaient peut-être accoutumés, mais nous, cela nous conduisait parfois à l'écœurement. 

Dans le cochon tout est bon. Même les viscères. De voir ces mètres de boyaux pendus à l'air libre après nettoyage, puis cuits avec une odeur insoutenable, cela m'a dégoûté à tout jamais des abats. Mon père aimait de temps en temps s'offrir un pieds de cochon panés au restaurant du même nom aux Halles. Je n'ai jamais voulu goûter à ces os rendus mous par des heures de cuisson. On y mangeait aussi queue, oreille et museau de porc. Beurk.

Un jour, nous entendîmes des cris épouvantables. On couru pour aller voir. Quatre hommes tenaient un goret qui se débattait tout en poussant des cris stridents à se boucher les oreilles. Un homme était à genoux en train de le charcuter en bas du ventre avec une sorte de petit couteau. Il y avait du sang. Le vétérinaire se retourna vers nous et dit: "Éloignez vous les petits, je suis en train de le castrer". Castrer c'est quoi? Opérer à vif, comme ça! Je me suis enfui... Je viens de lire que la castration à vif sera interdite à la fin de l'année 2021. Le bien-être animal a pris son temps pour être pris en compte. Et nous, petits citadins ignorants, nous n'étions pas du tout prêt à découvrir toute cette réalité crue. Mais au moins, on savait d'où venait ce que l'on mangeait

Il y avait un très gros cochon dans une petite stalle obscure. Il venait me voir à la lumière quand j'allais l'observer au-dessus de la demi porte. Bruno était encore trop petit pour y arriver. La fermière l'avait appelé Hector. Un jour, elle nous servit du jambon, du vrai, du gris, pas du teinté en rose avec des nitrites de sodium E250. De vraies tranches, pas des lames de rasoir en sachet comme aujourd'hui. Cette idiote n'avait pas compris la leçon du coq. A une question, elle me répondit que c'était la patte arrière d'Hector. Après le dîner, j'allais à tâtons dans le noir vers la petite porcherie. Hector vint me voir à la barrière en grognant doucement. A la lumière de la lune, je vis qu'il avait bien ses quatre pattes. Je revins triomphant en disant: "C'est pas vrai ! Hector il a toutes ses pattes!". La fermière se mit en colère et dit "Si ça se trouve, le petit, il n'a pas refermé la porte. Elle est dure à fermer la porte".

Elle courut voir Hector. Un cri. Elle revint en claudiquant une main sur les reins. "J'ai ouvert la porte et Hector s'est échappé en me bousculant"... On l'a retrouvé le lendemain se goinfrant dans un champ dont le propriétaire n'était pas content. 

Mais moi, j'étais très content. J'avais sans le vouloir offert un peu de liberté à Hector le prisonnier de l'ombre et la vieille fermière acariâtre a été punie de m'avoir raconté des conneries. Et aujourd'hui, je suis content d'avoir connu cette époque rude et le monde paysan authentique.

---

La colonie du Vieux Crabe à Noirmoutier

En réfléchissant bien, finalement je n'ai que des mauvais souvenirs.

Ma paroisse possédait un  centre de vacances à Noirmoutier en l'ile. Il s’appelait Le Vieux Crabe. Je me souviens surtout du dortoir où nous étions une trentaine à voisiner sur des lits en fer qui grinçaient. Nous étions environ une soixantaine en tout. Chacun avait un petit casier qui fermait mal. Un jour j'ai vu un garçon fouiller dans mes affaires. Coucher le soir pas très tard après parfois une "veillée" feu de bois poussive avec les monos, les moniteurs: il fallait quasiment apprendre une langue nouvelle.


Le matin, réveil à la hussarde et toilette collective. On se lavait pudiquement en slip, sommairement sur des lavabos en longueur à nombreux robinets et je n'ai aucun souvenir des douches. On se peignait rarement les tifs. On s'habillait avec un short et on portait un calot avec un insigne de la colo. Les curetons portaient la soutane et n'étaient pas spécialement gentils.

Au p'ti déj, le caoua était une lavasse hyper-délayée et avait le goût bizarre du lait en poudre. On se faisait des tartines sans beurre garnies de confiote, de la confiture de prunes acide servie parcimonieusement à partir de boîtes de conserves géantes. Des fois, une femme repassait pour proposer du rab. La nourriture n'était vraiment pas bonne. On mangeait souvent du pilchard, un poisson que je n'ai jamais vu ailleurs.

On allait presque tous les jours à la Plage des Dames. Il fallait beaucoup marcher et le "Un kilomètre à pieds, ça use ça use" m'a vraiment usé. Notre groupe occupait le côté de la route et il fallait se ranger pour laisser passer les rares voitures qui étaient venues du continent par le "Goa", une route recouverte par les marées. 

Sur le chemin, il y avait un homme adossé à un mur qui nous regardait passer. Il était vêtu d'un short court, jambes nues. J'ai remarqué quelque chose de bizarre. Plusieurs fois, nous sommes passés devant lui avant que j'ose vraiment regarder son short. Il y avait un truc qui dépassait. Oui, c'était son sexe en demi érection. On passait tous les jours avec les monos et personne n'a jamais moufté. Black-out.

Je n'étais vraiment pas fait pour la vie en groupe dans ces conditions. J'écrivais de temps en temps à mes parents et je les suppliais de venir me rechercher. Ils m'ont dit n'avoir jamais reçu ces lettres.

A partir de 10 ans, mes vacances étaient occupées par les tournée en Europe des Petits chanteurs, fatigantes mais enrichissantes.

1956 -1965 - Le Lycée Carnot

L'entrée au Lycée

 

J'ai passé le dernier examen d'entrée en 6e

Voilà! Nous y sommes. Les maîtres successifs de l'école primaire nous avaient présenté cet examen comme un épouvantail pour nous faire peur et nous inciter à beaucoup travailler. J'étais dans une grande salle que je ne connaissais pas, seul à une table. Je m'appliquait à bien répondre aux questions sans faire de tache. L’examen ne comptait que trois épreuves: une dictée, des maths et un compte rendu après lecture d’un texte...

"Qu'est-ce que l'abnégation?" Je calais. Il y a bien négation que je connais, mais "ab"? Je ne me souviens plus de ma réponse. Rentré à la maison, ma mère m'expliqua que c'était "le renoncement de soi". Je n'étais pas plus avancé. Cette question digne d'un oral de bac philo a provoqué un tollé général dans la presse qui a finalement eu la peau de cet examen d'entrée en 6e. Il a été supprimé et j'ai eu l'honneur et le désagrément de subir le dernier. Aujourd'hui encore, des politiques Comme J-F Coppé veulent le rétablissement de cet examen créé en 1933. Il avait été institué pour ne laissait passer que les meilleurs vers le secondaire, plutôt réservé aux élites et pas trop aux pauvres qui risquaitent d'encombrer les bancs.

Ça y est ! Je l'ai. Je vais pouvoir découvrir le Lycée Carnot, ce gigantesque bâtiment inconnu de l'autre côté de la rue Viette. En briques et métal, il est l'œuvre de l'ingénieur Gustave Eiffel.
 
Le préau aujourd'hui.


On entre dans le lycée par le 145 Bd Malesherbes (j'habitais au 147) en commençant par un contrôle de conciergerie, puis on passe dans un jardin carré, la Cour d'honneur, on passait sous le bâtiment principal et on découvrait le gigantesque préau vitré, œuvre de l'ingénieur roi du métal, Gustave Eiffel. Puis, en continuant, on arrive dans une très grande cour fermée qui donne sur l'autre boulevard, l'avenue de Villiers.

---

En cours de rédaction