Ceci est le début du livre, commencé le 11 mars 2021 et en cours de rédaction chapitre par chapitre.
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Ma vie d'enfant à la maison

Ma vie d'enfant à la maison


Belle adresse, mais...

J'allais souvent chez les copains et ils ne venaient que rarement chez nous. Notre appartement de cinq pièces devait faire environ 110 m2 au premier étage avec ascenseur d'un immeuble haussmannien. J'avais honte et je ne laissais pas mes amis découvrir cet appartement minable par rapport aux leurs.

Notre salon vers 1957 avec ses meubles vieillots style Levitan 1930


Il y avait une grande entrée suivie d'un couloir qui distribuait deux chambres. Une des chambre sur cour avait été transformée en salle de bain avec baignoire. Le chauffe-eau à gaz était installé directement au mur sur le papier peint il me semble... Beaucoup de place était perdue dans cette ancienne chambre d'environ 20m2. A gauche, c'était la chambre sur rue que nous partagions mon frère et moi. Au bout du couloir, entre les deux chambres, une porte ouvrait sur une petite pièce, le cagibi,
où on mettait le linge sale, tout et n'importe quoi. C'est aussi là dedans que nous étions enfermés dans le noir pour être puni. "Attention, tu vas aller au cagibi!" menaçait ma mère.


Le rêve: arrangé de manière normale, notre salon aurait pu ressembler à ça...
L'entrée avait cinq portes. De gauche à droite, une double porte vitrée vers le grand salon qui ne servait jamais, la salle à manger sinistre avec son papier peint beigeasse et son bas avec moulures peint en marron foncé laqué, le couloir, puis à droite la chambre de mes parents donnant sur cour. Puis en revenant vers l'entrée, la cuisine sans confort et les toilettes dont j'ai déjà parlé. Parquet partout, grandes fenêtres, plafond haut, cheminées en marbre partout, plafonds avec moulure et corniches... assez chic mais sale. Et les meubles... Du vieux, du tout venant d'avant-guerre, des meubles qui semblaient sortis de chez Emmaüs.


Papa, l'éternel étudiant

Quand mon père rentrait du travail, Bruno et moi, on lui faisait toujours la fête. On courrait pour mettre nos petits pieds sur ses chaussures et en équilibre on faisait ensemble un pas de danse.

Concours Rougevin
Papa arrivait avec des rouleaux de calques ou une tête de Grec modelée en terre glaise sur un socle en bois. Il nous montrait les médailles rondes dans un écrin de velours qu'il avait gagné à un concours. C'est à l'école des Beaux Arts qu'il avait ça. Un peu comme nous avec les bons points à l'école. Avec des bons points on avait droit à une image. Une médaille, c'était des points pour avancer vers le diplôme DPLG.  Je compris peu à peu qu'il était papa mais aussi étudiant en architecture. Il travaillait également à côté pour nous faire vivre, chichement car il ne gagnait pas beaucoup d'argent et ne travaillait pas toute le journée au bureau. Les études.

Le loyer de ce bel appartement quasi vide coûtait cher. Il fallait que ma mère fasse des miracles avec l'argent qui restait. Pendant des décennies, elle listait ses dépenses quotidiennes sur l'agenda de La Laiterie Parisienne pour calculer ce qu'il lui restait. 

Surtout que mon père dépensait beaucoup de son côté, à notre insu. 

Être grand frère, quelle engeance !

Ma mère avait fort à faire avec Bruno son petit diable. Remuant, turbulent, il prenait des risques de casse-cou. Plusieurs fois, il s'est cassé des os. Un jour, il réussit à mettre une chaise sur le coffre à jouet qui servait aussi de table. Il grimpa sur le coffre puis se mis à plat ventre sur la chaise pour essayer d'y grimper en remuant les jambes. En déséquilibre, il s'écroula avec la chaise. Ma mère arriva pour relever Bruno en pleurs et mon père se précipita sur moi, baissa ma culotte et me flanqua une fessée mémorable sans aucune explication. Moi, je lisais tranquillement le Journal de Mickey sur mon lit et je n'ai pas compris pourquoi j'étais victime de cette injustice. Mon frère était non seulement casse-cou, mais aussi casse-pieds et taquin. Il s'amusait des fois à me provoquer, à me mettre en colère et ainsi à me faire punir. 

Le Père-fouettard et son martinet
accompagne Saint-Nicolas

Être grand frère, l'aîné, ce n'est pas toujours simple. "Surveille ton frère, je vais faire des courses. — Mais regarde ce qu'il fait, pourquoi tu ne surveilles pas ton frère. — Tu vas voir Jojo ? Emmène Bruno. Ça lui fera prendre l'air"... Une responsabilité risquée et encombrante. 

A mes onze ans, cela m'a valu un gros déboire. De retour à la maison, il était ravi de dévoiler à ma mère mon secret en répétant une ritournelle : "Pa-trick-il-a-une-amou-reuuu-seeee". Petite peste. Il avait promis de ne rien dire.  

Plus tard, il a beaucoup changé. Il est devenu amorphe comme une chiffe-molle.

Mes parents avaient la main leste. Est-ce que je faisais vraiment autant de bêtises que ça ? C'était à tel point que lorsque je croyais avoir fait une bêtise, j'allais tout seul au coin les mains derrière le dos, espérant ainsi éviter la fessée. Mon père était devenu le Père-fouettard. Fatiguée de donner des fessées, ma mère nous promettait celles du papa. Et on attendait son retour avec anxiété. 

Plus tard, je me suis régalé en découvrant les tours pendables que faisait le Bon petit diable à la détestable Madame Mac'Miche.


M
es phobies nocturnes

Enfant, j'étais craintif. La nuit, dans le noir, des bruits étranges venus du monde inconnu me faisaient peur. Un craquement de parquet, un hululements de chouette perchée sur le balcon, et je me mettais sous les draps. J'imaginais aussi que des monstres voulaient rentrer dans la chambre pour m'emporter et me punir de mes bêtises. Et puis ces lignes lumineuses sur le mur? Mystérieusement, ces raies bougeaient un peu. Pour essayer d'enlever ces dessins lumineux, j'avais commencé à déchirer le papier peint. Les traits n'ont pas disparu et cela m'a valu une fessée de plus. 

Sténopé: Un trou suffit
Un lampadaire avait été installé en face de ma chambre et le volet à lamelles laissait passer des raies de lumière. Je découvris bien plus tard le principe du sténopé et comme avec les anciennes chambres photographiques, je voyais le filament de l'ampoule à l'envers. Une image par trou.

Le matin, ma mère me retrouvait parfois endormi, recroquevillé au fond du lit après une nuit de terreur. Je suçais mon pouce. Cela me calmait. Et je tenais fortement serré dans cette main un bout de drap auquel je me raccrochait comme à une bouée. Est-ce que mon frère qui dormait dans la chambre vivait les mêmes peurs? Je ne sais pas, je n'en ai jamais parlé à personne.

Bruno lui vivait des fantasmes de manière différente. Il montait sur son lit et se battait avec des inconnus en sautant sur le matelas. Il les pourfendait avec un sabre invisible en faisant tchi-tchi. Il voulait être seul lorsqu'il menait ces batailles et me demandait de sortir. Je partais au salon avec un livre.

Mon père lui, il faisait tsi tsi tsi. Il sifflotait entre ses dents. Il était dans la salle de bain, rasé de frais, se tapotant les joues avec de l'Aqua Velva. Il se faisait beau pour sortir le soir sans ma mère. Une soirée entre copains des Beaux-Arts me disait-elle. Ces soirées mystérieuses ont duré très longtemps et je savais par ses tsi tsi tsi qu'il allait sortir. J'ai su bien plus tard ce qu'il faisait vraiment.

Mon père rentrait parfois assez tard. Une nuit, j'ai été réveillé par le bruit de l'aspirateur Tornado (un vrai hurlement). Je me suis levé pour voir par la porte entrebâillée. J'ai vu mon père passer l'aspirateur dans l'entrée. A deux heures du matin... Le lendemain il y a eu une sérieuse explication entre lui et ma mère. Complètement saoul, il avait vomi sur le parquet et pour effacer sans effort ce problème, il avait eu cette idée géniale. Il avait souvent des idées du même type. Sauf que... pendant peut-être deux mois, à chaque fois que ma mère passait l'aspirateur, une écœurante odeur de vomi envahissait l'appartement. Et nettoyer l'aspirateur n'a pas du être très agréable.

Ma famille française

Ma mère ne parlait jamais de sa famille et très peu de son enfance. Elle ne voyait qu'une amie d'enfance, Rose, venue de Moulins sa ville natale. Elle nous apportait des bonbons puis disparaissaient dans la chambre de ma mère pour discuter. De quoi ? Un jour, elle n'est plus venue. Je n'ai connu la vraie histoire de la famille de ma mère née de père inconnu qu'en 2021 après des recherches difficiles.

Georges, Pierre, Solange et Roger
Mon père avait une famille qui venait souvent nous voir. Il avait deux frères, Pierre et Georges, et Solange sa sœur. Et il y avait surtout Bonne Maman, sa mère un peu folle qui détestait ses belle-filles et qui régentait le monde (pensait-elle) par courriers interposés aux dirigeants politiques. Mon grand-père est décédé dans des circonstances bizarres en 1948. Donc, je ne l'ai pas connu.

De cette époque, je me souviens que mon oncle Pierre me faisait un peu peur. Il parlait fort en gesticulant. Avec Marcelle, sa femme petite et un peu chétive, il avait eu huit enfants. On allait les voir de temps en temps à Limoge. Mon oncle Georges était mon parrain. Il était proviseur en Normandie ou un truc comme ça. Il avait un tic. Il remontait sa veste d'un geste d'épaule avec un petit mouvement du cou. Ce tic a mystérieusement disparu à sa retraite. Lui, Marguerite et ses trois enfants habitaient au bord de la mer et mon père s'invitait parfois en famille. Ça nous faisaient des vacances gratuites, ce que son frère Georges n'appréciait pas trop.

Les repas de famille duraient longtemps et, ayant mangé avant, j'allais les voir à table, juste à la hauteur de mes yeux. C'était souvent animé et ils parlaient tous fort pour se faire entendre. Ils semblaient bien s'entendre et riaient souvent. Question sempiternelle: "Et toi mon bout de chou, comment ça va à l'école?". C'est ma mère qui répondait. Une fois, mon père a voulu aider à desservir. Il a fait un empilement d'assiettes impressionnant avec les couverts au-dessus. "Mais si ça va aller. Vous allez voir". En allant vers la cuisine, la pile s'est effondrée. Se retournant vers nous en montrant les quatre assiettes qui lui restaient en main, il nous dit: "Heureusement que je n'ai pas été maladroit". Mon père...

Ma bonne maman belge

Ma Bonne maman n'était bonne que de nom. Tout petit, elle m'avait expliqué que ma mère n'était pas ma mère. Notre vraie mère, c'était elle la bonne maman qui savait vraiment comment élever les enfants. Je ne comprenais rien à ce qu'elle me racontait, mais je me souviens qu'elle piquait du menton quand elle nous embrassait avec force. 

Emma avait un grain. Un peu folle même. Elle a abîmé ses enfants et aujourd'hui je lui en veux. Elle est en partie fautive du comportement de mon père, de ses autres enfants, et même de quelques un de ses petits-enfants. Rétrospectivement, j'ai plaint mon grand-père d'avoir eu à supporter cette femme. Et pourtant il l'avait choisi. 

Ma grand-mère Emma
En 1910, il est parti avec Emma pour aller se marier en Angleterre contre l'avis de son père. Elle avait 19 ans et était enceinte de Solange. Furieux, mon arrière grand-père Pierre Demeyer l'a déshérité et lui a demandé de partir. 

C'est ainsi qu'il a quitté Antoing en Belgique pour s'installer à Valenciennes avec sa femme qui a mis au monde Solange. Petit dernier, mon père est né en 1915. Il a choisi la nationalité française à sa majorité. Et je suis Français.

La sœur jumelle d'Emma, Éliane, venait souvent pendant des heures ennuyer ma mère par ses discours interminables sur des personne qu'elle ne connaissait ni d'Ève ni d'Adam. Je n'ai jamais très bien compris ce qu'elle faisait comme métier et comment elle gagnait sa vie. Mais elle était gaie, riait tout le temps et semblait heureuse. Le contraire de ma grand-mère.

Lire le chapitre suivant : "Nos premières vacances



 

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